Père Michel Evdokimov : témoin et voix de l’orthodoxie

 Michel Evdokimov

Biographie

Père Michel Evdokimov : témoin et voix de l’orthodoxie

Père Michel Evdokimov

Michel Evdokimov, né le 19 septembre 1930 à Menton, est un théologien français et un archiprêtre orthodoxe. Fils du grand théologien de l’émigration russe Paul Evdokimov, père Michel est marié à Marie-Claire, petite-fille de l’historien Jules Isaac. Il est le père d’une fille, Sophie, et quatre fois grand-père. Depuis son plus jeune âge, le père Michel s’est consacré au rayonnement de l’Église orthodoxe en France, travaillant pour son renouveau liturgique et eucharistique, son enracinement et son identité locale, pour l’unité panorthodoxe et son ouverture au dialogue œcuménique. Par ses multiples livres et articles, ses conférences, ses homélies, ses traductions de l’anglais et du russe d’éminents théologiens et pasteurs et son action il a été une voix et un visage qui a largement contribué au rayonnement de l’orthodoxie en France.

Professeur agrégé d’anglais à l’Ecole alsacienne puis, par la suite, professeur de Littérature comparée à l’Université de Poitiers pendant 27 ans, Michel Evdokimov s’est spécialisé dans les littératures française, anglaise et russe. En 1981 il a soutenu un doctorat sur Khomiakov et les slavophiles. Après sa retraite, il a aussi enseigné au Collège des Bernardins.

Au début des années 60, avec l’aide, entre autres, de son père Paul Evdokimov, il est à l’origine de la création de la paroisse francophone de la Sainte-Trinité située dans la crypte de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevski, rue Daru à Paris, dont il va diriger le chœur pendant près de vingt ans. Sa connaissance de la musique (il a été l’un des chanteurs du fameux quatuor Kedroff dans les années 50), lui permet de faire un gros travail afin d’adapter les textes et les mélodies liturgiques en français.

Paul Evdokimov

Lors de son premier voyage en Russie, il découvre sa vraie vocation : la prêtrise. En 1979 il est ordonné diacre puis devient prêtre en 1981 dans l’Archevêché des Églises orthodoxes de Tradition russe en Europe occidentale (Patriarcat œcuménique). Il officie d’abord quelques temps à la crypte de la rue Daru, guidé par le père Boris Bobrinskoy alors recteur de la paroisse, qui le forme à ses nouvelles fonctions. Puis il part desservir différentes paroisses comme Saint-Nicolas à Boulogne-Billancourt ou Notre-Dame-Souveraine à Chaville. Mais sa vocation est aussi une vocation missionnaire. Il décide de fonder une nouvelle paroisse, dédiée aux saints Pierre et Paul, à Châtenay-Malabry au sud de Paris, après s’être rendu compte que de nombreux orthodoxes habitaient cette région mais ne pratiquaient plus faute d’église près de chez eux. Plus tard il fondera également une paroisse à Poitiers. Resté recteur de la paroisse Saints-Pierre-et-Paul jusqu’à sa retraite en 2019, père Michel et sa famille sont restés fidèles au métropolite Jean de Doubna, avec qui il partage une vision théologique et ecclésiale et des liens d’amitié depuis de nombreuses années, lors de l’acte de réunion de l’Archevêché avec le Patriarcat de Moscou en 2019.

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Père Michel Evdokimov à la crypte de la rue Daru, avec Mgr Jean de Doubna (2019)

Engagé dans la Fraternité orthodoxe, il fut co-fondateur et directeur du Service orthodoxe de presse (SOP), et membre de la rédaction de la revue de spiritualité orthodoxe Contacts. Toujours dans cet esprit de témoigner et de faire connaître à l’occident la foi orthodoxe, il a également participé régulièrement à des émissions de radio (France-Culture, Radio Notre-Dame…), ainsi qu’à la télévision, notamment dans l’émission Orthodoxie et sur la chaîne KTO. Il a été membre du comité directeur de l’association Action chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT) pendant de nombreuses années.

En plus de son activité pastorale, le père Michel Evdokimov s’est toujours beaucoup engagé dans le mouvement œcuménique, et il a été longtemps délégué à l’œcuménisme. Fervent travailleur pour l’unité panorthodoxe, il a été à l’origine de la création de l’Assemblée des évêques orthodoxes en France (AEOF) dont il a été le secrétaire pendant de nombreuses années.


Lire l’article du père Michel Evdokimov sur sa vie et l’essor de l’orthodoxie francophone

Interview avec le père Michel Evdokimov

Je suis né en France, dans une famille de l’intelligentsia russe émigrée après la Révolution, très profondément croyante. Mon père, Paul Evdokimov, est devenu en France un théologien laïc, comme Vladimir Lossky. Avant la Révolution, il avait commencé des études à l’Académie de théologie de Kiev : il était resté profondément marqué par ses visites dans des monastères où sa mère l’emmenait régulièrement, jeune garçon, et voulait faire de la théologie. Il a fait partie de la première génération des diplômés de l’Institut de Théologie orthodoxe Saint-Serge, à Paris. Il y a reçu entre autres la forte influence de son fondateur, le père Serge Boulgakov, et du philosophe Nicolas Berdiaev. Il y a ensuite enseigné pendant des années. A ses enfants, par contre, il ne donnait pas d’enseignement à proprement parler ; il nous laissait très libres, mais il a eu sur moi une influence très profonde, par sa présence, sa prière. Par ailleurs je n’ai pas suivi de catéchèse : à Menton où j’ai passé mon enfance et mon adolescence, nous fréquentions la chapelle d’une maison de retraite : il n’y avait pas vraiment de vie paroissiale ; en particulier, il n’y avait pas de catéchisme pour les enfants.

Ma mère, qui était de famille protestante, devint orthodoxe par son mariage, tout en restant protestante de cœur ; c’est une richesse ! D’ailleurs, j’ai moi-même un côté protestataire… Elle est morte à la fin de la Seconde Guerre mondiale. J’ai alors vécu deux ans chez ma tante, protestante, à Aix-en-Provence ; le dialogue était quelquefois un peu épineux, mais elle m’a sûrement influencé !

Pour mon père, la Révolution avait tourné une page d’Histoire. Il fallait regarder vers l’avenir et ne pas rêver, ne pas rêver en particulier d’un impossible retour en Russie, comme faisaient tant de Russes « émigrés de l’intérieur », comme on les appelait. Il croyait que les orthodoxes qui avaient dû fuir la Russie avaient une mission en Occident. C’était un point de vue que partageaient le père Boulgakov, Berdiaev, Vladimir Lossky, mère Marie Skobtsov… toute une mouvance de l’émigration russe qui voyait dans l’exil l’empreinte de la Providence, une occasion voulue par Dieu de faire connaître en Occident la Tradition orthodoxe, sans aucune intention prosélyte. Avant de quitter la Russie, Nicolas Berdiaev (qui avait été marxiste dans sa jeunesse) était allé voir un prêtre de Moscou à qui s’adressaient des foules de gens, le père Alexis Metchev ; et celui-ci lui avait dit : il faut que tu ailles témoigner de l’orthodoxie à nos frères chrétiens d’Occident. Tous ceux-là étaient émerveillés par la France terre de vieille chrétienté, avec ses grands saints, ses cathédrales… ils désiraient profondément un partage de ces richesses spirituelles et humaines. Les théologiens de l’« École de Paris » ont diffusé cet esprit à partir de l’Institut Saint-Serge, participant aux premiers dialogues interconfessionnels. Mon père a pris part au lendemain de la Seconde Guerre mondiale aux toutes premières conversations avec les catholiques : ainsi se préparait le concile de Vatican II, auquel il a été invité comme observateur. Il était en contact régulier avec des théologiens catholiques d’une grande largeur de pensée, comme le père Daniélou, le père Congar, le père de Lubac.

Il y a eu aussi l’influence de la Cimade ?

L’association d’entraide la Cimade a été créée à l’origine par des protestants, pour venir en aide aux réfugiés alsaciens que la campagne de France avait jetés hors de chez eux. Elle avait à ce moment-là son siège à Valence, où nous avions été évacués, et c’est ainsi que mon père avait fait connaissance de l’association, où il s’est engagé au tout début. En 1948 il a créé, pour la Cimade, un foyer d’étudiants à Sèvres : les jeunes sont venus d’abord, à la fin de la guerre, d’Europe de l’Est, en 1956 de Hongrie, puis du Mozambique, puis d’autres pays dont la situation politique était difficile. Une grande ouverture régnait à la Cimade au plan religieux : les réfugiés étaient d’origines confessionnelles diverses, et l’accueil, le dialogue faisaient partie de la vie.

A Sèvres mon père écrivait ses livres tout en étant toujours très attentif aux personnes, à leur vie spirituelle profonde : il aimait leur parler de leur âme. Malgré sa grande discrétion, il avait une réelle influence sur les jeunes qui vivaient sous le même toit que lui, je le voyais bien. Il exerçait une sorte de charisme de paternité. Je vivais aussi au foyer, sans connaître de vie de famille, mais près de mon père. Les étudiants avaient construit une « chapelle œcuménique » dans le parc. Tous les soirs nous priions dans cette chapelle, et le dimanche après-midi mon père animait des entretiens spirituels. J’ai baigné plusieurs années dans cette atmosphère. Tout en vivant en région parisienne, j’ai ensuite enseigné la Littérature comparée à l’université de Poitiers pendant 27 ans. 

Vous êtes devenu prêtre ensuite ?

A partir de 1964 j’ai dirigé pendant près de vingt ans le chœur de la paroisse de la crypte de la cathédrale Saint-Alexandre Nevski, rue Daru, qui venait d’être créée. On y célébrait en français. Cette intense présence aux offices liturgiques a constitué une préparation en profondeur, mais je ne suis devenu prêtre qu’en 1981 ; lors d’un premier voyage en Russie j’avais été frappé par la joie paisible et lumineuse des fidèles participant aux offices liturgiques, alors que leurs conditions de vie étaient si dures — et cela aussi se voyait, en un contraste très frappant ! Je me suis senti appelé à partager et cette souffrance et cette joie.

En 1984, après avoir été prêtre à la paroisse de Chaville quelque temps, je désirais ouvrir une paroisse : j’ai demandé au père Michel Jondot, curé de la paroisse Sainte-Bathilde à Châtenay-Malabry, la plus proche de mon domicile, s’il n’avait pas un local à me prêter. Je ne connaissais pas le père Jondot, mais il a accepté immédiatement et je lui suis toujours reconnaissant pour son ouverture de cœur. Il m’a cédé un local louveteaux désaffecté. Depuis j’invoque sainte Bathilde à chaque liturgie… Et, par un extraordinaire concours de circonstances, on m’a proposé l’iconostase devant laquelle mes parents se sont mariés, à bord d’un navire marchand russe en rade de Marseille ! C’est ainsi qu’est née la petite paroisse Saints-Pierre-et-Paul de Châtenay-Malabry.

Que représente l’Église pour vous ?

Une saveur d’éternité. L’Église est la source de tout amour ; mais en même temps, il faut dépasser l’Église, et ses faiblesses, pour atteindre à l’Amour. Et aussi : le désir de retrouver une union avec des non-orthodoxes qui sont comme moi membres du Corps du Christ, et le Corps du Christ ne peut être divisé — c’est ce qu’affirmait au XIXe siècle déjà, le théologien russe Khomiakov ; au-delà des divisions, il y a l’Una Sancta. Avec certains de mes frères protestants ou catholiques je me sens déjà en pleine union spirituelle.

Les Églises « traditionnelles » sont en crise…

Que signifie cette crise de l’Église ? Personne ne peut dire sur quoi elle va déboucher. Mais l’état de crise n’est-il pas l’état normal de l’Église, puisqu’elle est faite d’hommes ? Nous devons accepter humblement cet état de choses. L’Église est née du partage du pain et du vin, partage qui est un signe d’amour. Au début, les communautés étaient petites, ce partage se faisait relativement naturellement. Aujourd’hui, elles sont trop grandes. Les mouvements évangéliques recréent ces communautés plus restreintes, chaleureuses, qui témoignent de l’amour avec peut-être davantage d’évidence. Leur problème : ont-elles des racines assez solides pour durer ? Sans dimension liturgique, il ne peut y avoir d’Église.

Le père Alexandre Men disait que cela n’avait pas d’importance que les églises soient vides si les hommes ont le cœur plein… il y aura toujours des hommes pour annoncer l’Évangile. Il rappelait aussi que le christianisme n’a que 2 000 ans d’âge, et que beaucoup de paroles du Christ nous sont encore énigmatiques. Il faut que nous arrivions à nous aimer les uns les autres. Cela prendra du temps !

Pour le père Serge Boulgakov, le charisme de l’Église catholique est celui de l’autorité et de l’organisation de la vie des croyants sur terre. Celui des Églises protestantes, la rigueur morale. L’Église orthodoxe a le charisme de la contemplation du monde spirituel. Ce sont de grandes tendances, à nuancer bien sûr, mais elles se complètent très bien et mettent en évidence à quel point nous avons besoin les uns des autres…

Extraits d’un interview donné à la revue Unité des chrétiens en 2007.

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